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LA VIE DE FAMILLE

La Concordia, le 1er mai.

Je remercie Dieu de nouveau de m’avoir fait connaître et aimer dans la propriétaire de cette plantations une de ces belles femmes maternelles qui sont, dans toutes les contrées de la terre, une bénédiction, et savent, du moins pour un instant, enlever même à l’esclavage la lourdeur de sa chaîne et la lui faire oublier.

La joie visible des nègres lors du retour de madame de Carrera, les visages rayonnants avec lesquels ils s’approchaient d’elle et répondaient aux paroles gaies et cordiales qu’elle leur adressait, me le prouvèrent dès l’abord. Je le vois plus clairement, chaque jour, en observant en silence l’esprit maternel qui porte madame de Carrera à visiter elle-même ses esclaves malades, à leur envoyer les plats ou les friandises qu’ils désirent le plus, en voyant chaque jour, sur la terrasse, sa chaise entourée de douzaines de négrillons assis où rampant à ses pieds, courant, jouant ensemble autour d’elle, touchant sa robe blanche, et venant se plaindre à elle avec la même confiance que si elle était leur mère ; je le vois par les saluts joyeux échangés entre elle et les nègres ou négresses que nous rencontrons dans nos promenades. Je le sens aussi continuellement dans ce qu’elle dit sans affectation, dans le charme de l’atmosphère qui environne son aimable personne.

L’autre soir, en revenant au crépuscule, elle et moi, d’une course faite dans l’un des bouquets de bois de la plantation, nous rencontrâmes une jeune négresse : « Franciska ! Franciska ! » s’écria madame de Carrera avec cordialité, et elle lui fit en espagnol des questions sur sa