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LA VIE DE FAMILLE

dame de Carrera et de ses fils. Il était près de minuit lorsque je voltigeai avec l’aide d’un vieux et fidèle serviteur sur le petit pont tremblant jeté sur la rivière pour les piétons. Le vent souffle très-fort de la mer et les vagues font beaucoup de bruit. La Croix du Sud, les étoiles du Centaure, la brillante étoile de l’Argo, scintillent au-dessus de la mer au sud. Je les salue et me glisse en rampant dans ma cabane. Les rideaux du lit voltigent, mais c’est le vent de Cuba ; je me couche environnée par lui et ne dors guère. Je jouis d’un bien-être sans nom et me sens comme portée sur les ailes du vent, de l’esprit frais et moelleux de la mer. Il me semble que je n’ai point de corps.

Le lendemain matin présente un aspect peu rassurant. Le ciel est clair, mais le vent de la nuit a poussé les flots sur le rivage, il continue avec la même violence ; la rivière se gonfle, inonde le sol autour de nos cabanes, les flaques d’eau se succèdent, se réunissent et forment de petits lacs. On ne peut plus aller d’une cabane à l’autre sans marcher dans l’eau comme des canards. La famille Carrera s’effraye : « Si ce vent continue, nous serons complétement inondés demain ! »

Le vent persiste ; impossible de se mouvoir entre les cabanes sans bateau, et l’eau monte à la terrasse de madame de Carrera ; on ne peut sortir. « Ce n’est pas vivre. » La résolution est prise sur-le-champ de partir le lendemain matin, d’abandonner la plage à la mer et de retourner à la Concordia.

Le fils aîné, tous les enfants, les autres membres de la famille et moi, nous causons avec vivacité et d’une manière assez amusante jusqu’à onze heures. Je retourne dans ma cabane par le vent et les ténèbres, soit en barbotant dans