Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
LA VIE DE FAMILLE

profonde gorge, il n’y avait pas le moindre souffle, la chaleur devenait étouffante. Les jeunes rameurs se désaltéraient au filet d’eau qui sortait par le goulot de leurs pots en argile ; à cet effet, ils penchaient leur tête en arrière, tenant la bouche ouverte sous l’eau qui tombait ; au bout de quelques secondes, ils criaient ou soufflaient « Ave Maria ! » et recommençaient à ramer.

Nous débarquâmes sur un petit coude de la rivière, et déjeunâmes à l’ombre de quelques beaux bambous, tandis que les colibris voltigeaient autour de nous et au-dessus des fleurs rouges.

Je suivis un moment le bord, la rivière était encore fort étroite. On voyait quelques maisons de bois en ruines sur l’autre rive, des palmiers, des bananiers. Les crabes et une espèce d’écrevisses appelées fiddlers en Amérique, à cause de leurs grandes pattes, fourmillaient sur le rivage.

Malgré la beauté de cette végétation, je sentis que, pour se trouver heureuse dans ce monde enfermé, il faudrait être crabe ou colibri. J’y mourrais faute d’air libre.

Au retour, nous fûmes surpris par une pluie d’orage de l’espèce la plus sauvage, et, malgré notre abri en toile cirée, nous ne tardâmes point à être mouillés, ce qui m’inquiéta pour madame Baley, qui n’est pas forte ; nous fûmes donc bien aises de rentrer après une absence de dix heures. Nos rameurs n’avaient pas cessé d’humecter leurs gosiers avec de l’eau, de soupirer « Ave Maria, » et d’être de bonne humeur pendant toute cette excursion. J’ai admiré leur persévérance.

Nous étions très-fatigués, mais nous avions vu la Canima, et j’ai des souvenirs de la région des tropiques à placer à côté de ceux de l’Hudson, de la Savannah, du Mississipi, de l’Ohio et autres fleuves de l’Ouest.