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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

d’Armes, tandis que le « beau monde » de Matanzas se promène sous les peupliers au clair de lune. Je fais de même avec ma jeune hôtesse, les hommes de la maison et Frank, mon amical compatriote. On ne manque donc pas de musique à Matanzas, aussi en résulte-t-il le soir un véritable charivari ; mais il n’est pas désagréable, la mesure et son caractère ayant beaucoup de ressemblance ; on y trouve une vie gaie, badine, sans soucis. Je me laisse bercer par cette musique, et me baigne dans l’air qui danse autour de moi, tandis que sur la terrasse jusque vers minuit, je vois la Croix-du-Sud gravir le ciel et passer au-dessus d’un bosquet de sapotas vert foncé au feuillage touffu. Oui, c’est une vie calme, spéciale et singulière. Dans les prairies américaines, et souvent en Amérique, je voulais tendre les bras, parcourir au vol toute la terre. Ici je n’aspire qu’à être tranquillement assise dans les couronnes des palmiers, entourée des murmures de leurs palmes, ou bien, comme dans cette maison, à passer mon temps dans une balançoire, bercée par la musique et le souffle du paradis. Il me semble que je pourrais rester assise ainsi pendant l’éternité et ne manquer de rien.

Hier au soir madame Baley m’a conduite dans sa volante sur la montagne de Combre. Deux chevaux la gravirent rapidement, malgré une course de deux heures qu’il fallut faire pour atteindre le sommet. Nous avancions entre des aloès à candélabres, et lorsque nous fûmes arrivées au but la vue était magnifique : à droite, le grand Océan, couvert de navires de guerre, de commerce, grands et petits, le grand Océan sans limites. À gauche, et formée par des montagnes, la vallée de Yumori avec ses beaux bosquets de palmiers. Il est impossible de se figurer un contraste plus marqué et plus beau.