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LA VIE DE FAMILLE

leurs institutions nationales, le développement de la vie politique, l’élan du commerce, la grandeur des entreprises publiques. L’individualité ne disparaît pas ; mais elle semble se proposer comme but une sorte de manifestation plus haute.

Les Espagnols, par leurs manières et leurs gestes, forment le plus grand contraste qu’on puisse imaginer avec les Anglo-Américains. La majesté, l’harmonie de la langue espagnole me ravissent toujours, — excepté lorsque je l’entends parler par des femmes criardes et sans éducation. Je suis allée un soir dans une ferme, où nous avons trouvé une réunion de dix à douze femmes appartenant à la classe des travailleurs les plus grossiers, quoique non pas la plus pauvre. Presque toutes étaient maigres, brunes, criaient et faisaient un vacarme — en toute amitié et joie — presque assourdissant. Elles y joignaient de grands gestes énergiques, mais communs et sans grâce. Dans la bouche des femmes bien élevées, la langue espagnole est une belle musique. Mais revenons à ma course du soir. Nous allâmes à la Sonora, dont les esclaves, qui paraissaient vigoureux et bien nourris, marchaient à la file pour aller chercher leur soupé. — Chacun recevait un gros morceau de morue salée. En revenant par un pré dont le sol était marécageux, nous vîmes des essaims de cucullos ; ils formaient une charmante danse des elfes.

Cependant ces jolis insectes font maintenant mon tourment en même temps que ma joie ; car, hélas ! ils n’ont pas d’esprit, et lorsqu’ils plient leurs petites ailes, ce sont les plus gauches, les plus embarrassés des animaux. Dans leur vol ils se heurtent contre tout ce qu’ils rencontrent sur leur route, tombent à terre, restent couchés sur le dos avec autant de maladresse que nos escarbots, et se laissent