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LA VIE DE FAMILLE

exécuter. Il y eut aussi des hommes et des femmes qui lancèrent sur ces danses des regards sombres et découragés, avec une expression amère ; visages de nuit qui rendaient témoignage contre la ténébrosité de l’esclavage. Il en est un que je n’oublierai jamais, celui d’une femme d’un certain âge !… Des nègres du dehors, chargés de paquets de bananes, de tomates sauvages (elles croissent ici à l’état sauvage) et autres plantes vertes, entrèrent par la porte du bohen. Le jeune surveillant leur demanda s’ils étaient de la contrée : ils répondirent laconiquement « Oui, » et passèrent devant les danseurs, les uns avec indifférence, les autres avec un demi-sourire. Les danses s’animèrent davantage à l’ardeur du soleil, un plus grand nombre de danseurs et de danseuses survinrent. Mais on entendit alors un coup de fouet sec, et les danses cessèrent brusquement. Les esclaves se dispersèrent pour recommencer le travail du moulin. Je quittai le bohen après avoir remercié les tambours et Carlo Congo de la manière qui, je le savais, leur était le plus agréable.

Me voici de nouveau dans ma chambre paisible : le moulin fait du bruit et fume, les esclaves travaillent. Pardessus les murs du bohen, et bien au delà, je vois de magnifiques palmiers au pied des hauteurs de Camerioca, qui ont aussi de profondes grottes et des asiles cachés qui servent de retraite aux nègres fugitifs. Ils mettent des piéges à l’entrée des grottes pour se défendre contre les gens qui les poursuivent ; mais on y a renoncé, l’expérience ayant prouvé que c’était inutile et sujet à de grands dangers. Les fugitifs descendent parfois dans les plantations ; les nègres leur donnent des vivres et ne les trahissent jamais, excepté sous la torture du fouet.