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LA VIE DE FAMILLE

de sa conduite despotique, et de la fureur qu’une oppression violente peut exciter chez les nègres, naturellement patients et faciles à contenir.

Si dur que soit l’esclavage pour les habitants du bohen, et quoique les planteurs ignorent la plupart des lois libératrices de l’Espagne relativement aux esclaves, quoique le droit accordé par la loi soit étouffé ici par l’arbitraire, on ne parvient pas à faire disparaître entièrement du bohen le souffle de la liberté. L’esclave sait qu’il peut se racheter et connaît les moyens de gagner de l’argent. À Cuba, la loterie est un des moyens principaux auxquels les esclaves noirs ont recours, bon nombre d’entre eux savent s’en servir avec habileté. Par exemple, les membres d’une nation se réunissent pour acheter beaucoup de numéros rapprochés les uns des autres. D’une ou deux dizaines de numéros qui se suivent il en sort ordinairement un ou deux à chaque tirage. Le gain appartient à la nation, il est partagé entre ses membres. Celle des Lucomans vient, dit-on, de gagner à la loterie de la Havane un lot de onze mille dollars, dont une partie sera employée à racheter plusieurs esclaves de cette nation. Si je ne me trompe, un nègre Lucoman de cette plantation a été racheté, avec le consentement de son maître, pour deux ou trois cents dollars. C’est bien ; quelques-uns recouvrent la liberté ; mais le grand nombre reste toujours dans l’esclavage.

Quant à la vie que je mène ici, elle est aussi libre et agréable que je puisse le désirer. Madame de Conick est une femme du monde des plus gracieuses, qui me laisse toute la liberté que je veux ; elle est pour moi d’une amabilité infinie. Le matin je sors seule, je vais voir le bohen, ou bien j’erre dans la plantation, je jouis de l’air, je dessine des arbres et des fleurs. J’ai fait ici une connaissance plus