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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

— Depuis combien de temps ou d’années êtes-vous ensemble ? »

Cette question parut l’embarrasser. Cependant elle sourit et finit par dire « qu’elle l’avait en toujours ! »

Toujours ! Elle ne savait pas combien ce mot était grand et profond dans sa bouche. Il m’alla au cœur. Des semaines, des mois, des saisons, des années, la jeunesse, l’âge mûr, bien des changements étaient passés inaperçus ; d’une partie du monde elle était allée dans une autre, elle avait changé la liberté contre l’esclavage, la cabane de palmes contre le bohen, la vie libre contre celle du travail : tout avait changé, une seule chose était restée inébranlable, son amour et sa fidélité. L’homme qu’elle aimait lui avait toujours appartenu.

« L’amour a besoin d’être appuyé sur le devoir, » a dit un jour notre Geijer en parlant du mariage. C’est vrai ; mais il est beau de voir le mariage entre deux âmes aparentées rester pur et fort au milieu de la sauvage immoralité du bohen, et cela entre deux noirs, deux enfants non civilisés du désert…

Les poëtes et les philosophes parlent d’âmes prédestinées à s’unir. J’en ai trouvé deux ici ; elles s’étaient toujours appartenu, elles s’appartiendront toujours dans la profondeur de l’essence de Dieu, c’est-à-dire dans l’éternité.

L’homme rentra tandis que j’étais encore dans la chambre. Il paraissait avoir le même âge que sa compagne, avait la même expression de bonhomie et, dans son sourire un rayon de soleil enchaîné, un joyeux rayon qui aurait voulu être libre pour éclairer le fond du cœur. On rencontre souvent ce rayon captif sur le visage des esclaves. Ils l’apportent avec eux en guise de dot de leur chaude terre na-