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LA VIE DE FAMILLE

faiblesse de ses jambes. M. W…, jeune créole américain (sa plantation touche à celle-ci), vient tous les jours. C’est un homme de société aimable ; mon hôtesse et lui ont le don de la conversation badine et facile, au fond de laquelle il y a cependant de la gravité. Il faut ajouter à la société journalière, au dîner et le soir, un jeune homme qui régit la plantation sous la direction du vieux militaire. Il est précieux pour moi, par la franchise et la bonne grâce avec lesquelles il me donne tous les renseignements que je désire obtenir.

Cette plantation est beaucoup plus considérable que celle où je suis allée à Limonar ; mais une grande partie des esclaves, — deux cents, — nouvellement arrivés d’Afrique, ont un air bien plus sauvage que ceux d’Ariadne-Inhegno, aussi les pousse-t-on plus rudement au travail. Sur vingt-quatre heures, ils en ont quatre et demie pour se reposer, c’est-à-dire manger et dormir, et cela pendant six ou sept mois ! Le reste de l’année appelée la « morte saison » les esclaves dorment toute la nuit ; cependant ils ont aussi dans cette plantation une nuit tout entière par semaine pour dormir. Je suis étonnée de voir qu’on peut résister à une vie de ce genre ; car il y a dans cette plantation des nègres vigoureux qui y sont depuis vingt ou trente ans ! Quand les nègres sont parvenus à s’habituer au travail et à la vie des plantations, ils paraissent s’en bien trouver ; mais dans les premières années elle semble dure aux noirs libres et sauvages qui arrivent d’Afrique. Bon nombre d’entre eux cherchent à s’y soustraire par le suicide, surtout parmi les Lucomans ; leur tribu est, à ce qu’il paraît, l’une des plus nobles de l’Afrique. Il n’y a pas longtemps qu’on a trouvé onze Lucomans pendus à un guasima ; cet arbre a de longues branches horizontales. Ils