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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

dressés à être aussi dangereux pour les noirs qu’ils sont doux envers les blancs. Les nègres en ont peur.

J’ai dessiné quelques arbres remarquables, entre autres un ceiba dans toute sa santé et magnificence ; c’est un véritable arbre de luxe ; plus un ceiba dans les bras de sa terrible amante. On voit la plante parasite saisir le tronc de ses deux mains gigantesques, et l’étouffer, pour ainsi dire, dans ses embrassements. Ici encore je jouis beaucoup de l’air balsamique et du spectacle extraordinaire que présente la végétation. Il y a, dans cette plantation, de belles allées de palmiers royaux, de mangos, etc. Le soir, quand la nuit est venue, toute la famille étant musicienne, nous faisons de la musique les portes ouvertes, tandis que l’air traverse la pièce dans laquelle nous nous tenons.

Je sais maintenant fabriquer du sucre depuis le commencement jusqu’à la fin. Est-il possible que tant de douceur soit une cause de tant d’amertume, et qu’une jouissance donne lieu à tant de souffrances humaines ! Ce que je vois ici n’est pas, je le sais, le côté le plus sombre de la culture de la canne ; il y en a qui le sont bien davantage et dont je ne parlerai pas maintenant. Je vais voir la danse.

Plus tard.

Sur le gazon derrière la maison est un grand amandier d’Otahiti dont l’épaisse couronne s’étend au loin sur la terre ; il ombrage quarante à cinquante nègres ou négresses proprement vêtus ; les hommes sont en manches de chemises ou en blouses, les femmes en robes longues sans ornements. J’ai vu ici des représentants de diverses nations nègres, des Congos, des Mandingues, des Lucomans, des