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LA VIE DE FAMILLE

une somme modique annuelle ou de compte à demi par les Créoles espagnols. Je leur demandai s’ils désiraient retourner en Afrique, ils me répondirent en riant : « Non ! nous sommes bien ici ! » La plupart cependant avaient été enlevés de leur pays natal, ayant déjà passé les années de la jeunesse. Une femme avait perdu le bras gauche, madame Chartrain lui demanda comment, et la négresse raconta en espagnol, avec des gestes animés, une histoire que ma compagne ne voulut pas me traduire ; mais, à l’expression triste et soucieuse de son doux visage, je vis que je m’étais fait une idée juste de ce récit, en comprenant qu’il s’agissait d’un acte de grande cruauté commis par le propriétaire ou son agent à l’égard de cette femme sans défense. Notre dernière visite fut pour le vieux Pedro ; je lui apportais du café, et quelques phrases espagnoles pour ceux qui prenaient soin de lui, l’homme et la femme que j’avais trouvés un matin dans les champs. Ils étaient maintenant près de la maison, dans laquelle Pedro était assis comme auparavant.

Le bras droit du mari avait été écrasé par un moulin à sucre, et amputé au-dessus du coude. Depuis, on lui avait permis de se racheter moyennant deux cents dollars ; sa femme aussi s’était rachetée pour la même somme, je crois. Je leur demandais s’ils avaient le désir de retourner en Afrique ; ils répondirent, en éclatant de rire, « Non ; qu’y ferions-nous ? Nous sommes heureux ici. » Et, en effet, ils étaient on ne peut plus contents et joyeux. Je les exhortai à être bons envers le vieux Pedro. Ils répondirent en riant aux éclats : « Oui, oui ! » Je n’aurais jamais cru être amusante à ce point.

La nuit était venue pendant que nous causions près de la cabane ombragée par les cocotiers et les papayas ; les