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LA VIE DE FAMILLE

fort estimés) ; tu te disposes à payer et présentes ton pesos, mais on te le rend avec un salut poli et un « Cela ne coûte rien, madame. » Il est inutile de protester. Un cavalier a été ou est encore parmi les personnes qui se trouvent dans la boutique ; tu ne le connais pas peut-être ; mais il est connu du marchand et lui a fait à la dérobée un signe qui veut dire : « Je payerai pour elle, » puis il sort du magasin, ou lit un journal, et tu ne sauras jamais à qui tu es redevable de cette politesse. Quelques femmes de ma connaissance, à la Havane, m’ont dit avoir été parfois embarrassées, obsédées par une politesse continue de ce genre, qui leur imposait des obligations qu’elles ne pouvaient pas reconnaître. Cet usage, je le comprends, peut avoir ses côtés désagréables, mais il est fort noble envers des étrangers, puisque ceux-ci échappent ainsi à la nécessité de remercier le donateur. Mais revenons au banquet et au bal nègre.

Une table dressée, ornée de fleurs et de lampes, occupait le fond de la salle de danse. Le personnel dansant se composait de deux à trois cents personnes environ. Les dames noires étaient la plupart bien habillées à la mode française, et plusieurs d’entre elles fort parées. Quelques couples dansaient avec beaucoup de dignité et de précision des menuets excessivement ennuyeux. Quelle sotte danse, quand elle n’est pas exécutée par de belles et gracieuses personnes ! La principale danseuse était si laide, que, malgré sa toilette magnifique et son joli maintien, elle donnait l’idée d’un singe habillé. Les mouvements du cavalier manquaient de souplesse naturelle ; ce défaut est assez général chez les nègres.

Mais la grande danse du bal, sorte de ronde à laquelle toute la compagnie prit part avec tours et détours nombreux et