Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 2.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
435
DANS LE NOUVEAU-MONDE.

tes en robes montantes avec petits cols, tête nue, et habillées de même, comme si elles eussent été coulées dans le même moule. Toutes étaient minces, maigres, ou, pour mieux dire, sèches, et me paraissaient l’être intérieurement aussi ; cependant j’ai pu me tromper. Il est certain que j’avais soif d’un peu de vie, d’un peu d’individualité. Les quakeresses sont toutes habillées de même, mais quelle individualité clairement exprimée on lit sur leur visage ! Ici, au contraire, même absence de caractère, la simplicité était uniforme et ennuyeuse. Je n’avais pas découvert madame Geddes.

Je le dis à Harrison, quand il se fut assis à côté de moi pour déjeuner. « Retournez-vous, dit-il, elle est placée à la table derrière vous. » (Nous étions assis à des tables longues et étroites.) Je me retournai et rencontra un visage doux, ovale, un peu pâle, deux beaux yeux profonds, un front lucide sur lequel des cheveux bruns foncés étaient descendus et lissés en bandeaux. C’était madame Geddes. Elle était habillée comme les autres, mais en beau satin noir ; ses cheveux étaient disposés de la même manière que ceux des autres, cependant on y remarquait une grande différence. Madame Geddes me parut un peu roide, non pas sèche, mais douce et noble.

J’ai fait une connaissance plus intime avec elle, la veille de Noël au soir, et en compagnie, dans les grands salons où étaient réunie une partie de la population de l’hôtel Saint-Charles. Madame Geddes m’a plu infiniment. Elle a les traits délicats et réguliers, qui font partie de la beauté des femmes Américaines, et en même temps, le maintien calme, la grâce timide et digne que l’on ne trouve pas souvent chez la beauté du Nouveau-Monde. M. Geddes, beaucoup plus âgé que sa jolie femme, a un extérieur animé, annonçant un caractère énergique ; c’est un swedenborgien