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LA VIE DE FAMILLE

pour cela à de misérables coups. Les relations avec des esprits, des anges, sont d’une nature plus élevée et plus sainte.

De ce lieu qui m’a laissé une impression désagréable, nous sommes allés faire une visite à Frédéric Douglas, nègre fugitif du Maryland, et devenu célèbre par ses dons intellectuels, le talent oratoire dont il a fait preuve dans les réunions abolitionnistes, le courage avec lequel il travaille en faveur de la cause de ses frères noirs. Douglas est rédacteur d’un journal, « l’Étoile du Nord, » publié à Rochester ; il se trouve pour le moment dans cette ville, mais souffrant d’un mal de gorge qui l’a empêché de venir chez moi. Je suis donc allée vers lui. Il m’avait inspiré de l’intérêt, surtout par sa biographie, qui rend témoignage d’un esprit énergique, profondément sensible, et de la vérité de ce qu’il raconte. Ce n’est pas le cas pour les autres autobiographies des ci-devant esclaves, où l’on trouve un mélange évident de fable, de vérité et beaucoup d’exagération.

Il y a dans cette narration un passage qui m’a fort émue par sa beauté : le voici ; il te donnera une idée de l’homme et de sa position pendant son esclavage, qui est la plus dure période de sa vie. Il avait alors dix-sept ans :

« J’étais un peu malaisé à mener lorsque j’arrivai chez M. Covey ; mais quelques mois de discipline me comprimèrent. M. Covey eut le bonheur de parvenir à me rompre. J’étais rompu de corps, d’âme et d’esprit. Mon élasticité naturelle était brisée, mon intelligence énervée ; le goût de la lecture me passa, la joyeuse étincelle qui s’arrêtait dans mes yeux se retira, la nuit obscure de l’esclavage se répandit sur moi, — un homme était transformé en un animal !