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LA VIE DE FAMILLE

gique, moitié brouillard, moitié lumière, dont, à proprement parler, je ne sais rien, sinon qu’il est grand, très-grand ! Comment ? de quelle manière ? Est-il peuplé de dieux, de géants, de lutins ou de tous ces seigneurs mythologiques à la fois ? J’ai envie de m’en assurer. Je pressens que Thor et Loke[1] y luttent vigoureusement l’un contre l’autre, que les démons y habitent ; je le conclus de certaines histoires de revenants dont on m’a beaucoup parlé depuis que je suis ici. Les revenants dans l’Ouest sont un article de fond permanent dans les journaux ; les uns en parlent en badinant, les autres sérieusement. Les monts Alleghany et le Niagara ne sont-ils pas les sentinelles gigantesques des portes de ce nouveau paradis, le plus jeune foyer de l’homme ? Les magnifiques chérubins n’en défendent pas l’entrée, au contraire.

Les peuples européens s’y précipitent par les villes maritimes orientales qui en sont l’avant-cour. L’Ouest est le paradis traversé par les grands fleuves, où se trouve l’arbre de la vie et de la mort, où la parole du serpent et la voix de Dieu se feront entendre derechef aux couples humains nouveaux.

Je vais donc voir ce grand, cet énigmatique Ouest, avec ses fleuves, ses chutes d’eau, ses lacs gigantesques, sa vallée du Mississipi, ses montagnes Rocheuses, son pays de l’Or sur l’océan Pacifique, ses buffles, ses colibris ; cette contrée qui engendre des États, où les villes atteignent leur développement en une génération, dont le mot de ralliement est « croissance et progrès ! » Je vais voir cette terre promise, cette terre de l’avenir ! J’aspire à y pénétrer comme s’il

  1. Le dieu de la force et du mal de la mythologie scandinave. (Trad.)