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LA VIE DE FAMILLE

Les paroisiens nègres offrirent de se cotiser pour racheter la liberté de ce frère enchaîné. Une coupe d’étain fut placée sur un tabouret dans l’église ; les monnaies d’argent y résonnèrent joyeusement l’une après l’autre.

L’auditoire se distinguait par son extérieur probe et riche en même temps. Tous étaient bien habillés, avaient l’expression de gens graves et réfléchis. Je n’ai pas trouvé chez les femmes la coiffure pittoresque qui leur sied si bien ; elle était remplacée par les chapeaux de femme ordinaires, qui leur vont si mal. Mais quelle chaleur de sentiments il y avait dans ces yeux et ces visages noirs !… Il y a aussi de la vie dans les réunions de ce peuple, et quoique leur manière de l’exprimer tourne quelquefois au comique, on ne s’endort pas à les voir, comme cela arrive souvent dans les réunions et les églises compassées des blancs.

De cette paroisse nègre, qui offre un témoignage honorable des rapports de l’Amérique avec l’Afrique, je vais te conduire dans un lieu qui rend aussi témoignage, mais dans un sens opposé. J’y suis allée ce matin avec le docteur Hebbe et ma bonne hôtesse avant de monter au Sénat, car la maison servant de dépôt d’esclaves à Washington est près du Capitole, d’où on peut la voir, quoique grise, humide et cachée par des arbres touffus, comme si elle avait honte de servir de prison à des innocents. On ne nous laissa point entrer dans l’enclos où les enfants nègres couraient ou étaient assis ; mais, auprès de la petite porte grillée, nous rencontrâmes le gardien des esclaves, homme de bonne humeur, communicatif, mais évidemment grossier ; il paraissait charmé de nous montrer son pouvoir et son autorité. Madame Johnson désirait un petit nègre pour domestique et demanda si elle pourrait s’en procurer un ici. « Non ! nous ne donnons pas d’enfants.