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LA VIE DE FAMILLE

ce passage ; c’est pourquoi je le sonderai, je poserai encore une fois le couteau sur le nerf douloureux… » Ici Benton retroussa les manches de son habit (à son insu peut-être), comme s’il se préparait avec joie à faire une opération, et je vis devant moi le froid duelliste. Il avait peut-être retroussé ainsi ses manches afin de dégager son poignet pour viser lentement et finir par tuer son malheureux adversaire. Combien je détestais cet homme et son ignoble manière de combattre. Une colère énergique pleine de noblesse est rafraîchissante à voir ; mais le plaisir que cet oiseau carnassier trouve à tourmenter les autres, fi donc !

Le lion du Kentucky sentit les serres et le bec de l’épervier ; je m’en aperçus à la rougeur de ses joues, à la vivacité fébrile de ses mouvements lorsqu’il se leva une couple de fois pour se défendre. Je l’admirai d’autant plus de ne pas se laisser emporter à quelques personnalités, de ne répliquer qu’en produisant des faits, et d’avoir gardé le silence pendant une grande partie des lentes opérations de son adversaire. Clay resta homme bien élevé en face de cet animal carnassier, qui s’abandonnait à tous les instincts de sa grossière nature ; mais je fus très-étonnée da ce que, dans l’intervalle, pas un noble sentiment ne s’éleva dans le sénat contre une pareille manière de se servir de ses armes. Ma surprise augmenta le soir, en société, de ne pas trouver une personne partageant mon opinion sur la conduite du sénateur Benton à l’égard de Clay. « Je me tromperais fort, dit la sénateur H. à une jeune femme (lionne littéraire momentanément à Washington), si vous n’avez pas joui de cœur de la conduite de Benton à l’égard de Clay. — Assurément, répondit-elle, j’en ai été charmée d’âme et de cœur ; c’était une véritable fête pour moi ! » Quel goût !