moins élevé, d’un sentiment personnel qui se réjouit de son mépris pour le monde, de savoir que rien ne lui manque tandis que le monde a faim ; quelque chose qui rappelle la réponse ironique de la fourmi dans la fable de Lafontaine. Mais cette ombre passe comme un nuage dans le ciel serein du poëte, elle n’y a pas une demeure permanente. Un trait saillant chez Émerson, c’est son amour pour ce qui est grand, fort, naturellement nécessaire. Il dit donc dans son poëme intitulé l’Âme du monde :
« Je remercie la lumière du matin, je remercie l’Océan écumant, je remercie les montagnes de New-Hampshire et les arbres aux cheveux verts de la forêt ; je remercie l’homme courageux, la femme dont l’application est sainte, et le petit garçon qui, hardi dans ses jeux, n’a jamais encore regardé derrière lui. »
Mais le chant de notre Geijer est supérieur à celui-ci :
« Terre verdoyante, je te salue ; Océan bleu, je t’aime ; lumière qui vivifie l’abîme comme les cieux, soleil céleste, tu es ma joie. Je préfère à la plus belle guirlande de la terre, à la danse de la vague bleue, la consolation apportée dans un cœur humain tremblant par la lumière divine qui commence à poindre.
Émerson ne connaît pas cette lumière. Du reste, il a beaucoup de ressemblance avec Geijer ; mais il lui est inférieur de toute la distance qui sépare le plus noble paganisme de la foi chrétienne.
Je ne puis pas justifier mon sentiment sur les poëmes d’Émerson par ma traduction, n’ayant jamais eu d’habileté dans ce genre ; et je crois la poésie d’Émerson presque intraduisible, surtout dans sa versification. Elle est d’une espèce toute particulière, et suit, comme le poëte, des lois spéciales et inusitées.