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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

que ton corps souffre que d’envoyer ton âme en enfer. » Cependant il y a plus qu’Émerson dans le but du châtiment. Malgré cela, ce détracteur de l’imperfection, de la bassesse, de la petitesse, a pour moi dans ses écrits une force attractive, presque magique. Je le contredis, le querelle souvent : je vois que son stoïcisme est de la partialité, son panthéisme une imperfection : je connais quelque chose de plus grand, de plus parfait ; mais je suis sous le charme. Il me semble que sa grandeur me fait grandir, que sa force me rend plus forte, que je respire dans son monde un air de montagnes qui me ranime d’une manière inexprimable. Émerson a plus d’idéalité qu’on n’en trouve d’ordinaire chez les penseurs d’origine anglaise ; et l’on pourrait dire que chez lui l’idéalisme germanique s’est uni au réalisme britannique. Jamais encore il ne m’est arrivé de faire un pas pour voir un lion littéraire, mais je ferais un bout de chemin pour voir ce Waldo Émerson, ce pionnier des forêts morales du Nouveau-Monde, qui met la hache à la racine des vieux arbres pour les abattre et préparer la voie à des plantations nouvelles. Je voudrais voir cet homme qui, dans une société aussi sévèrement religieuse que celle du Massachusett et de Boston (Émerson a été prêtre d’une paroisse unitaire de cette ville), a été assez énergique pour renoncer à sa robe, à son église et — à la foi chrétienne, quand il en est venu à douter de quelques-uns de ses principes fondamentaux, assez noble de caractère pour conserver l’estime de ses anciens amis, et assez fort pour éviter toute polémique, toute parole amère, pour se retirer dans le silence, afin d’agir seul en faveur de la vérité qu’il a reconnue complétement, des préceptes que le païen et le chrétien reconnaissent également. Émerson a le droit de parler de la force et de la vérité, car il vit pour elles. Et le monde qui