Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
LA VIE DE FAMILLE

de la Divinité personnifiée les lois du devoir, de la société, de la beauté, de l’immortalité, imposées à chaque individu, et démontra que c’était par cette base seulement que le socialisme chrétien ou la société pouvait subsister et diriger les hommes vers le but suprême. Channing ne s’interrompit, ne se répéta pas une seule fois pendant ce discours dicté par une inspiration pure, prononcé avec un entraînement sans exagération ni passion, obéissant toujours à la règle du beau, et en faisant usage d’une polémique qui ne blessait pas le précepte de la bonté. Une fois seulement il dit d’un ton un peu plus accentué : « L’homme qui n’a pas aperçu en lui le dualisme de la nature humaine, qui n’a pas lutté contre le moi inférieur, est en dehors de l’humanité, — ou profondément à plaindre. »

La salle était comble, tout le monde écoutait avec la plus profonde attention. Le discours terminé, un cercle d’amis se pressa autour de Channing pour le féliciter. Je vis aussi l’orateur du dimanche précédent, M. H. James, aller vers lui, poser amicalement sa main sur la sienne en disant : « Vous êtes injuste à mon égard, vous m’avez mal compris. » Il était pâle, ému, mais complétement bon.

Ce soir-là, j’étais venue dans une petite voiture de Brooklyn à New-York, seule avec Channing, et m’étais aperçue durant ce trajet combien il paraissait chercher à distraire ses pensées et à les occuper de sujets complétement étrangers au discours qu’il allait prononcer. Mais lorsqu’il me ramena à la voiture, et au moment de nous séparer (il restait à New-York et je retournais à Brooklyn), je ne pus m’empêcher de lui dire : « Vous avez dû vous sentir fort heureux ce soir ! » — « Oui, oh ! oui, » répondit-il en soupirant à demi ; « mais j’ai blessé James. » Puis il me tendit la main avec son sourire rayonnant habituel et me