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IV

ne songeais pas à les faire imprimer, ni à écrire un livre sur l’Amérique ; elles le prouvent suffisamment, car sans cela elles auraient été moins immédiates, plus châtiées, plus parées, plus en toilette ; j’ignore si — cela eût mieux valu. En Amérique je pensais trop à vivre pour songer à écrire sur la vie.

L’idée d’écrire des lettres sur l’Amérique m’est venue trop tard, c’est-à-dire au moment où j’allais quitter le grand continent de l’Occident ; mais il me semblait toujours davantage que ces deux années de voyage et de séjour n’étaient pas ma propriété exclusive, qu’elles m’imposaient le devoir de dire ce que j’avais éprouvé. Je pressentais que le Nouveau-Monde me donnerait ample matière à réflexion et me pousserait plus tard à faire quelque chose, même des livres. Comment ? — je n’en avais aucune idée. Je vous confesse qu’en Amérique j’ai eu la pensée de métamorphoser tout le Nouveau-Monde en un roman, — dont vous, mes amis, auriez été les héros et les héroïnes, en m’y prenant avec tant d’adresse que pas un de vous ne s’y serait reconnu, et n’eût reconnu l’Amérique.

Mais les scènes de la réalité dans votre vaste pays ne voulaient pas se laisser classer dans un roman. Cette idée se dissipa donc comme l’arc-en-ciel dans le nuage ; cependant la réalité était toujours là, « avec sa grandeur, sa petitesse, sa douceur, son amertume, sa beauté, sa laideur, en un mot dans sa vérité. » J’ai compris qu’une peinture fidèle était ce que j’avais de mieux à faire. Comment je m’y prendrais, c’est ce dont je ne me rendais pas compte avec netteté en quittant l’Amérique.

« Vous le comprendrez, vous le saurez quand vous serez chez vous ! » me disait quelquefois le précieux ami qui