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— Que nous sommes différentes ; moi, quand je suis heureuse, si je m’écoutais, je le dirais à tous les passants.

— Preuve que tu es destinée à consoler les autres.

— Ou à les embêter, car alors, je chante. Mais, sais-tu que nous parlons comme des oracles ?

Pour chasser le nuage du front d’Alix, la gaie Béatrice se mit à chanter sur un ton de fausset, une complainte apprise, Dieu sait où. Mais au beau milieu d’une savante vocalise, alors qu’elle attaquait courageusement la destruction d’une note harmonique, et sur le point de réussir, des applaudissements frénétiques retentirent derrière elle. Béatrice se retourna, la bouche ouverte.

Étienne Bordier et Gilles, le corps penché comme s’ils eussent regardé du haut d’une loge de théâtre, battaient des mains.

Béatrice les toisa :

— Encore vous autres ! Ça tourne à la persécution. Je ne puis exercer mes talents librement, que vous arrivez, et vous me donnez…

— Quoi ? coupa Gilles, les yeux ronds.

— Le trac !

— Le trac ! et tu as eu cela alors que tu escaladais ton si bémol ?

— Mais oui, et juste au moment où ma voix allait tirer le trémolo. Mes cordes vocales doivent être fêlées à jamais, et c’est votre faute à tous deux.

— Excusez-nous, fit Étienne Bordier en jetant un éclat de rire si jeune que Béatrice remarqua :