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— Des beautés perdues alors, remarqua Béatrice. Qui peut en bénéficier, les Esquimaux ?

— Précisément, et les splendeurs polaires ne laissent pas les sauvages indifférents. Ces rudes habitants admirent sans réserve les féeriques spectacles de leur pays, ils semblent les comprendre. Nous, les blancs, nous restons presque épouvantés devant les neiges bleues des soleils de minuit, et l’éclat incroyable du feu des aurores boréales.

Étienne s’arrêta un moment et ses yeux se posèrent sur le paysage environnant. Il poursuivit :

— Quelle impeccable harmonie encercle le monde, tout est proportionné, tout est à l’unisson. Ici, paysans, fleurs et verdures sont enveloppés des douceurs de l’été ; le vent est léger, en passant dans les branches il berce les nids et accompagne le chant des oiseaux. Il y a de la volupté sur les êtres et les choses, le tableau est splendide. Mais là-bas, au bord de ce pays de crystal, quelle gloire ! Ce n’est plus la langueur des zones tempérées, c’est la vigueur partout. Vigueur des hommes qui se jouent de la bise comme l’enfant de la brise, et dont la voix rauque est un défi au froid terrible de l’air qui parfois gèle les poumons ; vigueur des bêtes, qui en nageant d’une banquise à l’autre, lancent leurs cris puissants dont l’écho remplit la solitude de ces contrées aux aurores longues comme des saisons, aux crépuscules longs comme des mois.

Que tout est donc divinement balancé ! N’essayez pas, mes amis, de changer ces deux cadres de place. Ce qui nous enchante ici paraîtrait mignard là-bas, et ce qui nous émerveille aux approches du Pôle nous stupéfierait ici.