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Gilles demeura muet. Pour dissiper ce mutisme, et peut-être aussi pour se disculper, Alix revint à ce que son frère avait dit :

— Tu sais, Gilles, notre ménage, il passe pour un exemple d’harmonie…

— mondaine, finit-il.

Retrouvant son aplomb de frondeur, il continua :

— Alix, ton foyer est glacial, et tout y semble rébarbatif. On dirait que les ressorts de tes si beaux sièges vont se détendre pour nous piquer, lorsque l’on s’en approche. Et toi-même, sous ton apparence impeccable de femme mondaine on devine un hérisson dards en boule et… avance donc ! Que manque-t-il donc ici pour que ce soit plus accueillant ; il y a pourtant, la jeunesse, la beauté, la richesse et… l’amour. Mais de ces forces magiques, si l’on peut constater les trois premières, on cherche en vain la quatrième.

Alix frémit. Amour, ce mot venait de descendre dans son cœur, et donnait un nom à ce qui s’y passait. Elle ne se défendit pas pour nommer celui qui la jetait dans cet émoi troublant. Elle aimait son mari, et pour se l’avouer, elle sentit son amour grandir et la prendre toute. Empoignée par la sublimité de ce chant vainqueur, la jeune femme l’écoutait dans le ravissement, mais soudain, comme ces nuages subits qui cachent le soleil et jettent de l’ombre sur les choses resplendissantes, une angoisse terrible faite d’une certitude absolue, irréfutable, vint l’affoler puis la terrassa : elle aimait Paul, mais lui ne pouvait plus l’aimer, jamais. Alix vit avec épouvante la vie qui allait être la sienne, une vie de dissimulation et de souffrance. Son amour, il devra se consumer ignoré, elle devra le