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Rendue à la porte de la cuisine, Gilberte entra vivement et s’immobilisa sur le seuil. Gentiment mais un peu craintive, elle salua son oncle :

— Bonjour oncle Joachim. Excusez-moi de m’être un peu attardée. Il fait si beau, ajouta-t-elle en se tournant vers la lumière qui entrait à flots par derrière elle.

La figure fermée de Joachim Bruteau s’éclaira un moment devant la radieuse apparition. Cependant, c’est d’un ton bourru qu’il répondit à la salutation de sa nièce :

— Bonjour Gilberte, dit-il renfrogné. Maintenant, vite, prépare le déjeuner.

Heureuse d’en être quitte à si bon compte, Gilberte s’activa aux préparatifs du repas. Bientôt une omelette rôtie à point fut placée sur la table recouverte d’une nappe blanche à carreaux bleus, sur laquelle la jeune fille déposa successivement du pain de ménage, une motte de beurre frais, et une jatte de lait crêmé. Puis, avec un goût sûr, elle arrangea les touffes de giroflées apportées du jardin, dans un vase en verre dépoli, et le mit au centre de la table. En bonne ménagère, elle s’assura si rien ne manquait au couvert. Satisfaite, elle appela, essayant d’être gaie :

— Tout est prêt, oncle Joachim, cette omelette vous fait de l’œil, et voyez si mes giroflées sentent bon.

Sans dire un mot Joachim approcha sa chaise, et prit son repas en silence.

Gilberte regardait de temps à autre son oncle à la dérobée. Joachim Bruteau était un de ces vieillards qui ne « vieillissent » pas, et bâti, comme il se plaisait à le dire, pour vivre cent ans. Son visage osseux, sans