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a sans cesse le nez fourré dans mes chaudrons. Des fois, j’ai envie de l’ébouillanter. Je ne jouis d’un peu de paix que lorsque je vais à l’étable traire les vaches, et encore, elles me ruent parfois. De plus, les jeunes veaux mangent mes cordons de tablier chaque fois qu’ils en ont la chance. Ah, je suis bien malheureuse, allez…

Étienne ne prêtait plus attention aux insipidités de la Mélanie. Attiré par le bruit de voix, Joachim Bruteau venait d’arriver et se tenait devant lui. Le vieillard était bien de ceux que l’âge ignore. Un quart de siècle avait-il réellement glissé sur cet homme ? Répondant à la pensée d’Étienne, Joachim Bruteau prononça en le fixant :

— Notre dernière rencontre date de vingt-cinq ans, le dirait-on ?

— Pas sur vous ; il me semble vous avoir quitté hier.

Étienne offrit sa main au vieillard, mais celui-ci n’avança pas la sienne. Il poursuivit :

— Les années vous ont marqué plus que moi. Toutefois, ne soyez pas surpris si je vous ai reconnu. Je vous avais placé là, fit-il en se frappant la tête, j’ai suivi la marche de la souffrance sur vos traits. Vous avez bien souffert, Étienne Bordier. L’isolement n’agit pas également sur tous, reconnaissez cela en me regardant.

— L’isolement ravage celui qui en souffre, monsieur.

Étienne ne put se décider de donner le nom d’oncle au vieux Bruteau.