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Avec des gestes éloquents, l’Esquimau essaya d’expliquer à son compagnon le bouleversement qui se produisait.

— Finis donc de t’agiter les mains comme des nageoires de phoques, sacré soupçon d’homme, et laisse moi dormir, fit Thomas en se roulant dans ses couvertures, c’est le mieux que nous avons à faire. Mais vu qu’il y a trois jours que fermer l’œil est ma seule occupation, le sommeil commence à être léger.

Et comme Kélano continuait à baragouiner, Thomas ajouta menaçant :

— Ta gueule, Kélano, ou je mets une autre bûche.

Roulant ses yeux étroits dans sa face luisante, l’Esquimau alla se coller la joue sur la peau glacée de la tente, et resta coi.

Celui que nous avons entendu appeler le bourgeois, suivit un moment, amusé, la scène entre les deux hommes : puis à l’aide d’une torche électrique, se mit à lire une lettre froissée. Ayant fini sa lecture, il replia les feuillets et les enfouit sous sa veste de fourrure. Ensuite, éteignant sa lumière, il se coucha à son tour.

Mais l’inconnu ne dormit pas ; il songeait.

— Quelle atmosphère de tombeau m’entoure, se dit-il, que mes paupières soient ou non fermées, tout est noir ici. Ce linceul qui m’enveloppe et m’engourdit, convient bien au mort-vivant que je suis.

Vingt-cinq ans bientôt qu’elle est morte ma Gilberte, vingt-cinq ans que son souvenir seul me rend la vie supportable. Elle l’avait dit la chère épouse : « Mon âme sera avec vous là-bas. » Oh, comme ce fut vrai ! et