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les mémoires d’un soldat inconnu

compte à ceux qui, pour se vautrer dans l’or, ont trahi la cause de l’humanité. Le moment sera impitoyable : on s’en nourrit quand le pain manque, on s’en vêt quand les haillons ne tiennent plus, on s’en emplit le cœur et l’âme quand, par défectuosité volontaire, l’obus rate dans nos canons. Aujourd’hui, l’ennemi c’est l’Allemand et, ne le perdant pas de vue, nous le châtierons et nous l’écraserons, mais demain viendra le tour de ceux qui sont embusqués derrière les coffres-forts. Toutes les phases de ma vie de tranchée se déroulent, vertigineuses, et s’arrêtent ici, près de cet homme qui agonise. Que la vie est donc chevillée au corps ! Le blessé parle de nouveau :

— Je fuyais, je fuyais cet enfer. Je t’ai dit que mes yeux s’en allaient, et je voulais revoir ma femme, mes enfants, ma maison, avant de devenir aveugle. C’était fou ? Est-ce que ça se raisonne ? Je ne voyais qu’eux, les êtres chéris, et la maison aimée. Ça se tenait dans un