Page:Brassard - Les Mémoires d'un soldat inconnu.pdf/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
les mémoires d’un soldat inconnu

La voix n’a plus besoin d’avertir : un sentiment de honte m’écrase, et, afin que le blessé ne comprenne pas la signification de mon geste, je rajuste ma gourde, et, comme si j’avais failli l’échapper, je me penche sur le malheureux. Il ne reste plus de vainqueur ni de vaincu, mais deux hommes dont l’un soutient la tête de l’autre et le fait boire.

Cette eau a sur lui l’effet d’un cordial et lui redonne un semblant de force qui lui permet de se tenir péniblement sur son coude. Je reprends ma position, baïonnette aux poings. Si c’est la honte et la pitié qui ont penché l’homme sur son frère, c’est la haine et la vengeance qui redressent le guerrier.

— Et maintenant, tu vas parler, si non…

— Éloigne cette arme, j’en ai trop vu. Que veux-tu que je te dise que tu ne saches pas déjà ? Là, en face, tout comme chez vous, on souffre, on agonise, on meurt. Les hommes veulent ennemies ta race et la mienne, et des broches