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les mémoires d’un soldat inconnu

Nous allons sous le feu ; d’autres en reviennent. Nous les frôlons au passage. Ils sont sales, fiévreux, puants. Il y en a qui halètent. Un se cogne à moi. Il me regarde. Son bras se tend pour m’empêcher de passer, et il me souffle dans une haleine chaude, basse, qui m’atteint le visage :

— N’y va pas, c’est terrible !

Je lui mets des cigarettes dans la main, et je l’éloigne doucement, et j’ébauche un sourire qui se fige aussitôt : combien a-t-il rapporté à celui qui l’a enrôlé, celui-là ?

Le boyau que nous suivons remonte à la surface. C’est une gare — une vaste salle d’attente à ciel ouvert — protégée d’un côté par un haut talus sur­monté de fortifications. La lune luit faiblement. Plus loin, je vois une ouverture : c’est le boyau que nous venons de quitter qui reprend là-bas. Ça conduit à la mort, à la mort qui paye ? Est-ce que ça va devenir une obsession ?