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les mémoires d’un soldat inconnu

Il ne faut pas mourir, et pour la sauver sa vie à soi, on tue sans compter la vie des autres.

Il ne faut pas mourir quand on n’a pas vingt ans, et, pour cela, je fais de ma poitrine un bouclier vivant à mon juvénile compagnon. Il ne faut pas que rien n’atteigne son front lisse, ni ses yeux francs, ni sa bouche charmante. Il ne faut pas que son âme quitte ce beau corps où bat un cœur aimant et pur. Et puis, chaque coup que je lui évite, ça me rachète. Et, le sauvant, j’ai conscience de me sauver aussi. Et travaillant pour lui, je travaille peut-être à mon salut ? Je retrouve un peu de foi.

L’engagement est fini et, avec lui, s’évapore la rumeur qui nous a valu tant de mal. Il n’y a pas d’armistice : c’est une fausse alerte.

Nous nous calons dans nos tranchées en mordant nos fusils.

Il ne faut pas qu’une autre rumeur de cette nature vienne de nouveau nous affoler, car tout sauterait dans une ré-