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les mémoires d’un soldat inconnu

sang. Les cieux en sont éclaboussés, la terre en regorge, les flots en sont rougis. La mitraille perfore les nues et la surface du globe, et les nuages saignent et saignante aussi est la glèbe.

Nous passons devant une grange délabrée dont le pignon garde encore, à ses planches disjointes, les morceaux d’un panneau-réclame annonçant le passage d’un cirque dans la région. On y voit des écuyères décapitées dont la pointe des pieds repose sur la croupe de chevaux fringants auxquels il manque le poitrail et les jarrets. Des acrobates volent au-dessus de trapèzes absentes ; des tronçons de bouffons courent après un tambour-major, un lion sans crinière et des tigres sans queue ni griffes.

— Ça rappelle les foires, dit mon compagnon en me donnant une cigarette.

— Oui, et la musique des carrousels, les foules bariolées, et la gaieté des fêtes au soleil, les fontaines de soda et les diseuses de bonne aventure.