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les mémoires d’un soldat inconnu

bout de son bras raidi le volant du véhicule : on dirait un clown qui veut faire sauter des chiens dressés. Finis les chants obscènes, les libations et les récits d’aventures grasses. Ça sent la gazoline, la poudre, le sang, l’alcool. Je me rapproche de celui qui, comme moi, est indemne.

— Ça dégrise, dis-je.

— Oui ; et notre chœur est passablement endommagé. J’espérais sauver nos trois ténors, et vois donc, le gosier faussé, ils viennent de tourner l’œil. Dix de morts, onze avec le chauffeur, et, nous deux, on n’a que des égratignures sans importance.

Il reste un moment hébété, puis se secoue, et se met à se rouler une cigarette.

— La mort est une maîtresse à la poigne un peu rude, dis-je. Elle nous a épargnés nous deux. Sans doute, n’étions-nous pas suffisamment préparés ?