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adolphe brassard

pas à vider les cuvettes pleines d’eau rougie et à disposer de tous ces membres et du reste. Ah ! prendre tous ces membres et ces moignons de membres crochus, les attacher les uns aux autres avec les fibres et les muscles enlevés aux blessés, les mettre debout, les surmonter d’un crâne où dans les orbites vides pleureraient des yeux aux cristallins crevés, couvrir le tout des lambeaux de peau sanguinolents qui pendent dans les barbelés, et, à la face du monde, se dresserait le spectre de la guerre. Si ce n’est pas suffisant pour dompter la folie sanguinaire des peuples, planter des poignards, des baïonnettes à scie dans le spectre, le jaunir par les gaz asphyxiants, le faire trembler par la mitraille, l’empaler sur le pieu d’acier d’un trou de loup et le laisser gémir. Ah ! Que Dieu permette que le spectre déambule et aille semer une salutaire épouvante au sein de la conscience des peuples !

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