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à ma santé qui finit par s’altérer. M.M. Gossec et Méhul le firent observer à ma mère, et la sollicitèrent de leur permettre de me présenter aux Italiens de ce temp, depuis fondus dans le théâtre Feydeau. Mon père étoit absent alors, ma mère lui en écrivit ; mais elle n’obtint qu’un refus absolu. Cependant ma santé déclinant de plus en plus, ces MM. devinrent plus pressans auprès de ma mère, et s’y prirent si bien qu’ils lui persuadèrent qu’ils obtiendroient le consentement de mon père. Soit foiblesse matenelle soit arrêt du sort, je fus entendus d’abord aux Italiens ensuite à l’opéra où je fus engagée, avec appointemens un an avant de débuter en qualité d’élève admise au traitement. Je dus apprendre mon répertoire. Mais n’ayant jamais quitté ma mère j’avais contracté l’habitude d’une réserve si timide que lorsqu’on me faisoit répéter mes rôles je n’osais pas me livrer et paroissais froide. Dès ce moment on sembla n’espérer de moi que comme chanteuse à l’exception de M. Dugazon qui combattoit de toutes ses forces une pareille prévention. Passant sous silence d’autres détails de cette nature relatifs à mon éducation dramatique, j’arrive à la permission que j’obtins de mon père et qu’il accompagna de ce peu de mots que je n’ai jamais oubliés et qui bien des années retentirent encore dans mon cœur et dans ma mémoire : « Tu connois mon amour pour toi, tu es ma vie mon idole : eh bien j’aimerais mieux te brûler la cervelle que de te voir déshonorer mes cheveux blancs. Souviens toi toujours de ton père »

Je lui promis de ne jamais m’écarter du chemin des vertus qu’il m’avoit enseignées et fait chérir. Je lui promis de faire sa gloire et son bonheur. Je lui jurai d’honorer ma profession et ma vie. Je lui ai tenu parole quand à ma vie privée de fille, d’épouse et de mère, sur l’autre point il ne m’appartient pas de me juger moi même, j’en appelle aux artistes pour en décider

Je me mariai à 17 ans. Je dus à mon mari le bonheur le plus parfait. J’eus quelquefois à gémir de l’envie, de la jalousie des méchans, mais rentrée dans mon intérieur, j’y trouvais l’oubli de ces passagères contrariétés dans les affectueuses et constantes caresses de mon mari. Je jouissais de la considération des gens de bien, je pouvais descendre dans mon cœur avec sécurité sans y trouver ni honte, ni remors, mes jours s’écouloient dans une félicité que je croyais ne devoir jamais finir, il étoit hors de la puissance des méchans de troubler la paix de ma conscience. De tems en tems je pouvais faire un peu de bien, soulager quelques infortunes, qu’aurais-je pu désirer encore ?