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depuis plusieurs années.

J’avais à peu près dix à onze ans, lorsqu’un ami de la maison, crut d’appercevoir que j’avais une belle voix, ce dont on ne doutait nullement. Il en fit part à mon père qui se mit à rire et plaisanta sur cette découverte. L’ami persista dans son dire, et pour se venger de l’incrédulité paternelle, me fit chanter en cachette et lorsqu’il en fut tems me fit entendre à mon père lui même qui fut dans le ravissement, fit amende honorable à l’amitié et donna mille nouvelles caresses à son enfant. Sa sollicitude pour moi, son idolâtrie, qu’on me pardonne ce mot, sembla s’accroître encore. Cette année là, on me mena au théâtre Feydeau pour la première fois ! J’entendis l’immortelle MMe [illisible], je revins exaltée de souvenir et de bonheur. Le tems lui-même n’a pu effacer cette profonde impression : partout, à toute heure, je chantais les airs que j’avais entendus par cette admirable actrice. N’ayant jamais quitté la maison paternelle, ces grands talens, qui m’apparaissoient pour la première fois entourés de tout les prestiges de la scène, je les déifiais, j’aurais voulu me prosterner devant eux, ils me paroissoient des êtres surnaturels. Je ne pensais, je ne vivais que par l’espoir de m’illustrer un jour comme eux, afin de rendre à mes parens la tranquillité et l’aisance.

M. Gosset conseilla à mon père de me présenter au conservatoire où mon éducation seroit perfectionnée. J’y fus admise après un examen dont le résultat enflamma plus que jamais ma jeune ambition, pour professeur de chant on me donna M.M. Michet et Lays, pour l’accompagnement M. Nigel et pour la déclamation M. Dugazon. Vint ensuite M. Garat qui depuis mes débuts jusqu’au somment où la mort le ravit aux arts ne cessa de me prodiguer des leçons et des conseils précieux.

Dans la déclamation, mes progrès furent tels que mon professeur reçut l’ordre de ne me la faire travailler que secondairement, car tandis qu’il parloit de me faire débuter aux français, les directeurs de l’établissement me destinoient pour l’opéra. À quelques tems de là, j’obtins le 1er prix du chant et celui de déclamation. Fidèle à mon but d’être utile à mes parents, je donnai des leçons de harpe et de piano ; mais comme j’étais fort jeune, ma mère, n’osant me laisser aller seule, me faisoit accompagner par une femme sûre qu’il fallait payer, ce qui diminuait beaucoup mes honoraires. Cette fatigue à laquelle je n’étais pas accoutumée nuisoit