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LES OISEAUX DE PROIE

Cité ; mais elle exhale je ne sais quelle subtile odeur de richesse qui a un charme mystique pour les narines de celui dont la bourse est vide. Des piles de grands-livres, des montagnes de livres de comptes emplissaient le magasin peu éclairé ; quelques commis travaillaient derrière une cloison vitrée, où le gaz était déjà allumé sous les abat-jour verts placés au-dessus de leurs pupitres. Je me demandai ce que cette existence pouvait avoir d’agréable, s’il était possible, même quand on n’a pas d’autre moyen de gagner sa vie, de s’intéresser à un commerce pareil. Hélas ! pour moi, je n’ai jamais connu d’autres livres de comptes que ceux des paris de courses. Un jeune homme vint s’informer de ce que je voulais, en me regardant de façon à me donner à entendre que, si je n’avais pas besoin de deux ou trois grosses de livres de comptes, je n’avais rien à faire là. Je lui dis que je désirais parler à M. Grewter, et lui demandai si ce gentleman était visible.

« Le commis me répondit qu’il n’en savait rien : il me dit cela d’un ton signifiant clairement que, dans son opinion, je ne serais pas admis à le voir.

« — Vous pourriez peut-être aller vous en informer ? lui suggérai-je.

« — Oui, sans doute. Est-ce le vieux ou le jeune M. Grewter auquel vous désirez parler ?

« — Le vieux M. Grewter, répondis-je.

« — Très-bien. Je vais aller voir. Toutefois, vous feriez bien de me remettre une de vos cartes.

« Je présentai une des cartes de Sheldon.

« En lisant le nom, le commis fit un mouvement comme si un serpent l’eût piqué.

« — Vous n’êtes pas M. Sheldon ? dit-il.

« — Non ; M. Sheldon est mon patron.