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LES OISEAUX DE PROIE

— Oui, un petit bout d’affaire en province. Quelque chose d’un nouveau genre qui pourra devenir excellent si nous trouvons des gens assez clairvoyants pour en apprécier les bonnes chances et qui aient assez de courage pour risquer leurs capitaux ; mais le travail en province est chose fort ennuyeuse. J’ai parcouru deux ou trois villes dans les districts du Centre : Beaufort, Mudborough, et Ullerton, et partout j’ai trouvé la même stagnation dans les affaires. »

Rien n’aurait pu être plus parfaitement joué que l’air d’insouciante innocence du capitaine en rendant compte de ses mouvements. Était-ce une comédie ?… Disait-il la vérité ?… Valentin se posa cette difficile question. Les deux hommes restèrent longtemps assis, fumant et causant ; mais ce soir-là Valentin trouva la conversation de son philosophique ami étrangement désagréable. Cette manière cynique d’envisager la vie, qui peu de temps avant lui semblait la seule rationnelle, affectait péniblement les sentiments plus délicats qui s’étaient éveillés en lui pendant les tranquilles semaines qu’il venait de passer. Il avait été longtemps disposé à partager les pensées amères qu’inspiraient au capitaine le monde et les hommes qui ne l’avaient pas comblé, mais ce soir-là Horatio le révolta. Ses sarcasmes, ses dédains des choses les plus respectables, en dépit de la gaieté apparente dont il les habillait, avaient quelque chose de pénible, on eût cru entendre un ricanement désespéré d’un ange maudit chassé du ciel.

Ne rien croire, ne rien espérer, ne rien respecter, ne rien craindre, considérer la vie comme une suite de jours qu’il avait uniquement employés à mentir le mieux possible, à se bien nourrir, bien vêtir, est certainement