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LES OISEAUX DE PROIE

dédaigner de s’enfermer chez eux comme dans une prison.

« Mlle Hezekiah avait une existence extrêmement pure, elle avait de plus des rentes : cela suffisait pour donner au faubourg qu’elle habitait un prestige irréprochable. Je fus reçu, par une femme âgée, empesée comme un faux-col, mais avec un visage assez agréable. Elle me fit entrer dans un parloir très-propre, mais très-humide, comme les pièces qu’on n’habite pas ; elle m’y laissa pendant qu’elle allait porter à sa maîtresse ma lettre d’introduction. J’eus le temps de pie faire quelque idée du caractère de Mlle Judson, en examinant les choses parmi lesquelles elle vivait. Sur la table des livres de poésie se mêlaient à des livres de religion ; de chaque côté des serins tapageurs chantaient dans une grande cage de cuivre, et un épagneul dodu gonflait, pelotonné sur un coussin. Ce que voyant je pensai : le wesleyanisme de la dame n’est pas farouche ; sa piété se tempère par des émotions d’un ordre plus temporel, telles que le bonheur d’entendre jaser les serins et dormir les chiens obèses. Je ne me trompais pas. Mlle Judson apparut ; la servante la suivait, elle portait un plateau sur lequel il y avait du vin, des gâteaux. C’était la première fois que dans mes visites on m’offrait des rafraîchissements. J’en tirai la conséquence que Mlle Judson devait être la personne la plus facile de celles que jusqu’alors j’avais rencontrées.

« Cela me donna bon espoir : je m’imaginai qu’il serait très-malin de jouer la candeur ; c’est pourquoi je ne crus pas devoir lui cacher que l’affaire qui m’amenait avait rapport à l’héritage laissé par John Haygarth, et qui attendait un réclamant.

« — La personne pour laquelle vous agissez n’est pas M. Théodore Judson ? demanda-t-elle avec quelque raideur.