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LES OISEAUX DE PROIE

Ce jour-là, pendant qu’elle marchait à côté des deux amants et écoutait leurs gais propos, elle éprouvait les sentiments d’une mère qui eût vu sa propre fille lui enlever l’homme qu’elle aimait et se fût résignée à la perte de toutes ses espérances par tendresse pour son enfant.

Il y eut le soir, à table, plus de franche gaieté, plus de beaux rêves que jamais. Le maître de la maison n’y prit qu’une faible part ; il fut calme et même pensif, laissant la conversation aller son train, sans s’y mêler. Après dîner, il se retira dans sa chambre, tandis que Valentin et ces dames restèrent auprès du feu, suivant l’usage orthodoxe de Noël, et se mirent tranquillement à raconter des histoires de revenants.

George se tenait en dehors du cercle, feuilletant les livres qui étaient sur la table, lorgnant dans un stéréoscope avec une expression évidente d’ennui. Ces sortes de soirées intimes étaient un genre de vie que Sheldon, de Gray’s Inn, déclarait « stupide, » et s’il s’y soumettait, ce soir-là, c’était uniquement parce qu’il n’avait pas trouvé mieux à faire.

« Je ne pense pas que papa se soucie beaucoup des histoires de revenants, n’est-ce pas, mon oncle ? demanda Charlotte au gentleman qui bâillait magnifiquement,

— Je ne le suppose pas, ma chère ?

— Et, pensez-vous qu’il croie aux revenants ? demanda-t-elle en riant.

— Non, je suis certain qu’il n’y croit pas, répliqua George très-sérieusement.

— Bon Dieu ! avec quelle solennité vous dites cela ! s’écria Charlotte, un peu surprise du ton de George, qu’elle ne s’expliquait pas.