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LES OISEAUX DE PROIE

qui y tienne moins que moi ; mais votre générosité me touche jusqu’au fond du cœur. Oh ! je vous en prie, laissez-moi vous embrasser comme si vous étiez mon propre père revenu à la vie pour me protéger et me guider. Je vous croyais froid, intéressé… J’ai pu vous méconnaître à ce point… »

Elle courut à lui, jeta son bras autour de son cou, avant qu’il pût s’en défendre, et approcha sa jolie bouche rose de ses joues sèches. Son cœur débordait d’une pure émotion, sa figure était épanouie, elle était heureuse de reconnaître que le mari de sa mère était meilleur qu’elle ne l’avait jugé. Mais, à sa grande surprise, il l’éloigna de lui rudement, presque brutalement, et en le regardant, elle le vit plus sombre qu’il ne lui était jamais apparu. Colère, terreur, peine, remords, elle ne savait ce que pouvait être, mais l’expression en était si horrible qu’elle recula épouvantée et retomba lourdement sur sa chaise toute tremblante.

« Vous m’avez effrayée, M. Sheldon, dit-elle faiblement.

— Pas plus que vous ne m’avez effrayé moi-même, répondit l’agent de change, en s’approchant de la croisée près de laquelle il se tint, cachant sa figure à Charlotte. Je ne croyais pas qu’il y eût en moi autant de sentiment.

— Est-ce que je viens de vous fâcher ? demanda avec hésitation la jeune fille stupéfaite du brusque changement de façons de son beau-père.

— Non, je ne suis pas en colère. Je ne suis pas habitué à ces fortes émotions, répliqua Sheldon d’un ton saccadé, je ne puis pas les supporter. Je vous en prie, évitons toute explication sentimentale. Je tiens à faire mon devoir simplement et en homme d’affaires. Je ne