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LES OISEAUX DE PROIE

comprendre pourquoi Philippe, le plus concentré et le plus réservé des hommes était ce jour-là si communicatif.

— Eh bien ! Nancy, ce que j’ai besoin d’empêcher, c’est que l’on ne me joue. Je sais combien sont limitées les notions d’honneur que les jeunes gens ont aujourd’hui et à quel point une jeune écolière peut se laisser aller à commettre des folies. Je ne veux pas que ces jeunes gens s’en aillent un beau matin courir à Gretna Green. Pour m’expliquer plus clairement je me défie de l’amoureux de Mlle Halliday, je me défie du bon sens de Mlle Halliday, et j’ai besoin d’avoir dans la maison une personne clairvoyante ; qui soit toujours sur le qui-vive, capable de veiller aux intérêts de ma belle-fille, en même temps qu’aux miens.

— Mais la maman de la jeune dame, monsieur… elle peut bien s’occuper de sa fille, il me semble ?

— Sa maman est follement indulgente, elle est à peu près aussi en état de prendre soin de sa fille que de siéger au Parlement. Vous vous rappelez la jolie Georgy… un peu plus âgée, un peu plus grasse et plus colorée, mais tout aussi jolie et tout juste aussi indolente. »

L’entrevue se prolongea quelque temps encore ; lorsqu’elle se termina, Sheldon s’était complètement entendu avec sa vieille servante. Nancy devait rentrer à son service et, en plus de ses devoirs ordinaires, elle avait contracté l’engagement d’exercer une active surveillance sur tous les mouvements de Charlotte ; en un mot, elle devait faire le métier d’espion. Mais Sheldon était un homme trop habile pour exposer sa demande en termes aussi précis, sachant très-bien que, fût-elle à la dernière extrémité, Nancy eût refusé de remplir un pareil emploi si elle en eût clairement compris l’infamie.