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LES OISEAUX DE PROIE

d’attente. Le courage de Nancy était à bout ; elle avait devant ses pauvres yeux vieillis, la redoutable perspective de ce tombeau vivant, qu’on appelle la Maison de Travail ; elle avait à peu près perdu tout espoir de secours de la part de son ancien maître, lorsque sa lettre lui parvint. Elle se sentit pour lui une grande reconnaissance. Ce ne fut pas sans émotion que Mme Woolper obéit à l’appel de son ancien maître ; elle avait nourri de son lait le personnage sec et froid qu’elle allait revoir après dix ans de séparation et bien qu’il lui eût été plus difficile de reconnaître dans l’agent de change, le même homme qu’elle avait porté dans ses bras quarante années auparavant que de se représenter une personne morte depuis ce temps, elle ne pouvait cependant oublier que ces choses avaient existé, ni s’empêcher de conserver une sincère affection pour lui.

Un étrange et sombre nuage s’était élevé entre elle et l’image de son maître dans les derniers temps de son service, mais peu à peu ce nuage s’était dissipé, laissant l’image familière claire et nette comme par le passé. Elle avait laissé assaillir son esprit par un soupçon si monstrueux, que pendant un temps, ç’avait été comme un cauchemar ; mais la réflexion lui avait bien montré qu’il était impossible que cela fût. Jour par jour elle avait vu l’homme qu’elle soupçonnait s’occupant de ses affaires comme à l’ordinaire, ne modifiant en rien ses façons, luttant tête haute contre la mauvaise fortune, vivant tranquillement dans sa maison sans être troublé par de sinistres visions, par des accès de remords ou de sombre désespoir, toujours égal, affairé, et ferme, et elle s’était dit à elle-même qu’un tel homme ne pouvait pas être coupable de l’inexprimable et horrible action qu’elle avait imaginée.