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LES OISEAUX DE PROIE

estime pour mon Souverain et sa respectable épouse, je préférerais achever mon existence hors de leur vue plutôt que de chercher à les rencontrer dans ces lieux consacrés aux souvenirs les plus frivoles. Il m’a écoutée avec calme, mais sans paraître convaincu ; car un moment après il lui est arrivé de soupirer et de gémir en murmurant :

« — Je suis allé autrefois au Wauxhall, peu de temps après l’ouverture de ce jardin. Oh ! quel brillant éclairage ! On eût dit les étoiles du soir descendues dans la sombre verdure des arbres ! Comme la musique m’a paru délicieuse ; je croyais entendre l’hymne des anges tombant sur terre comme la rosée du soir ! Mais il y a plus de vingt ans et tout est changé depuis.

« Vous comprenez combien j’ai été scandalisée d’entendre cette folle rapsodie. Je l’ai reprochée à mon époux en termes clairs et précis. Il s’est alors calmé et m’a demandé pardon, mais pendant toute cette soirée il a semblé préoccupé et a recommencé de temps à autre à gémir et à soupirer. En vérité, j’ai besoin avec lui d’une grande patience, car, bien que par moments je le croie dans la vraie voie chrétienne, il en est d’autres où je crains que la griffe de Satan ne soit encore sur lui et que mes prières et mes conseils ne soient vains.

« Vous qui connaissez les désordres de son passé, si tant est que ce passé soit connu par d’autres que lui-même, qui a toujours gardé le silence sur son genre de vie en cette ville, bien qu’il soit le plus franc des hommes sur tout autre sujet, vous savez dans quelle sérieuse intention j’ai accepté le fardeau du mariage, espérant par là obtenir la complète con-