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LES OISEAUX DE PROIE

— Au sujet du comté d’York, répéta Mlle Paget avec un léger soupir de soulagement. Je serais fort satisfaite de vous entendre parler de vos amis. Votre séjour, chez eux, a-t-il été agréable ?

— Très… très-agréable, répondit Charlotte, en appuyant complaisamment sur les mots.

— Comme vous êtes devenue sentimentale, Charlotte ! Je pense que vous aurez trouvé tout un rayon de romans oubliés dans un coin de la bibliothèque de votre tante. Vous avez perdu toute votre gaieté.

— Est-ce possible ? murmura Charlotte. Cependant je me sens beaucoup plus heureuse que quand je suis partie. Qui pensez-vous que j’ai rencontré à Newhall, Diana ?

— Je n’en ai point la moindre idée. Mes notions sur le comté d’York sont très-vagues. Je me figure que ses habitants sont d’aimables sauvages, juste un peu plus civilisés que n’étaient les anciens Bretons, quand Jules César est venu faire sa conquête. Qui avez-vous pu rencontrer là ? Quelque gentilhomme campagnard, je présume, qui est tombé amoureux de vos beaux yeux et aurait voulu vous décider à passer le reste de votre existence dans ces déserts du Nord. »

Mlle Paget n’était pas femme à découvrir ses blessures pour les livrer à l’examen de l’amitié, même la plus tendre. Quelque vives que fussent les plaies creusées par les dents du serpent, elle savait marcher tête haute sous le poids de la douleur. N’était-elle pas accoutumée à souffrir, elle, le bouc émissaire des nourrices volées, des logeuses indignées ? elle, qui dans la pension de sa parente avait vécu dans une situation de subalterne, soumise à toutes les corvées, méprisée même par son père ? La saveur de ces eaux amères était trop