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LES OISEAUX DE PROIE

trerai jamais dans cette douce demeure ? Quel pouvoir ai-je, moi, sur cet avenir que les heureux de ce monde dirigent avec une si parfaite précision ? Et encore, que de fois leurs calculs sont-ils déjoués ! Jouir du présent est ce qu’un bohème a de mieux à faire. C’est pourquoi j’ai voulu rester à Newhall une bonne après-midi de plus. Cette bonne après-midi n’a pas été entièrement perdue. Durant cette visite d’adieux, le brave oncle Joseph m’a donné de nouveaux détails sur l’histoire de la pauvre Susan Meynell. Cela a eu lieu pendant l’après-dînée où il m’avait fait faire pour la dernière fois un tour à ses étables et à ses porcheries.

« Très-peu ferré sur les diverses qualités des variétés zoologiques, et me doutant que ma chérie m’attendait dans le parloir, cette excursion ne pouvait être qu’une corvée pour moi ; mais c’était bien le moins que je sacrifiasse une fois mon propre plaisir à celui du meilleur des hommes et des oncles. Je me mis donc à marcher hardiment à travers les champs avec l’excellent fermier. J’en fus récompensé, car ce fut dans le cours de cette promenade que M. Mercer me raconta l’histoire de Susan Meynell.

« — Je ne me souciais pas, l’autre soir, de parler de cette histoire devant la jeune fille, dit-il gravement. Son cœur est si sensible, chère petite, que ce récit n’aurait pu que l’affliger ; mais comme la chose est connue de presque tout le pays, je n’ai plus de raison de ne pas vous la dire. J’ai entendu bien des fois ma pauvre mère parler de Susan Meynell. Il paraît qu’elle était fort belle, plus belle que sa sœur Charlotte, qui était elle-même une fort jolie personne, comme vous pouvez en juger en regardant notre Charlotte. C’est tout le portrait de sa grand’mère. Mais Susan était une de ces beautés