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LES OISEAUX DE PROIE

naire, l’objet même de mon amour ne serait pas en droit de réclamer la fortune accumulée par John Haygarth.

« J’espérais qu’il n’en serait pas ainsi. J’espérais que ma chérie resterait pauvre et n’hériterait pas d’une fortune qui, suivant toutes probabilités, élèverait entre nous une barrière insurmontable. J’aurais voulu la questionner au sujet de sa famille et je ne pouvais le prendre sur moi. J’étais encore livré au doute lorsque l’honnête et bruyant oncle Joé fit son entrée dans la chambre. La tante Dorothée se réveilla extrêmement surprise d’avoir aussi longtemps dormi.

« On servit le thé. Assis en face de la chère enfant, je ne pus m’empêcher de penser à cette Molly, aux yeux gris, dont le portrait avait été trouvé dans le bureau de bois de rose, et dont la physionomie m’avait rappelé les beaux traits de la belle-fille de Sheldon. Ainsi donc, l’aimable belle-fille de Sheldon descendait en droite ligne de cette même Molly ! Étrange mystère que celui de la transmission des ressemblances ! J’avais là, devant moi, le doux visage qui avait séduit l’honnête Matthieu Haygarth !

« Ma Charlotte était la descendante d’une pauvre petite comédienne de la foire de Saint Barthélemy ; quelques gouttes du sang de Bohême étaient mêlées dans ses veines au sang plus pur de ceux qui vivent avec régularité et honneur. Cette pensée m’était agréable ; mais je n’éprouvais aucun plaisir à l’idée que Charlotte pouvait avoir des droits à une si grande fortune.

« — Elle peut avoir des cousins dont les droits passeront avant les siens, me disais-je à moi-même.

« Cela me soulageait.

« Lorsque nous eûmes pris le thé, je demandai la