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LES OISEAUX DE PROIE

de M. et Mme Sheldon, non plus que de mes projets d’avenir ou de mon passé. Ils voyaient mon amour pour la jeune fille, ils comprenaient qu’elle en était heureuse, et ils l’aimaient tant qu’ils étaient disposés à ouvrir leur cœur sans réserve à celui qui l’aimait, fût-il riche ou pauvre, noble ou roturier. De même que dix ou douze ans auparavant, ils lui eussent donné, sans regarder au prix ou à la qualité, la poupée de cire qu’elle eût désiré, ils lui donnaient aujourd’hui leur approbation et leurs sourires en faveur du fiancé qu’elle avait choisi.

« — Je sais que Sheldon est un homme qui vise toujours à la meilleure chance, dit l’oncle Joé, et je parierais bien que vous aurez de la peine à vous entendre avec lui ; d’autant plus que le testament du pauvre Tom a laissé toute la fortune à sa femme, ce qui équivaut à dire que c’est M. Sheldon qui en a la disposition.

« J’assurai l’oncle Joé que l’argent était le moindre objet de mes désirs.

« — Alors, je ne vois pas pourquoi il ne vous donnerait pas Charlotte, répliqua M. Mercer. Du reste, si elle est privée de la fortune de son père, on ne la privera pas de ce que ses vieux oncle et tante auront à lui laisser un jour ou l’autre.

« Ces dignes gens étaient là me proposant une héritière aussi simplement que s’il se fût agi d’une tasse de thé.

« Je revins une fois de plus à pied, à la lueur des étoiles. Oh ! comme j’étais heureux ! Le bonheur peut-il être aussi parfait ? Une joie si pure peut-elle durer ? Je m’adressais ces questions à moi-même, et, de nouveau, je m’arrêtai sur la route au milieu de la lande solitaire : je me découvris et remerciai Dieu d’avoir laissé pénétrer dans mon cœur de si belles espérances.