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LES OISEAUX DE PROIE

rera pas toujours, ma chère. Vous aurez vingt et un ans dans un an ou deux ; vous serez libre alors de vous marier comme vous l’entendez, et comme, grâce à Dieu, vous n’avez pas six pence qui vous appartiennent en propre, nous nous marierons tout de suite, en dépit de tous les beaux-pères du monde.

« — Combien je voudrais être riche pour l’amour de vous, dit-elle avec un soupir.

« — Réjouissez-vous, pour l’amour de moi, de ne pas l’être, lui répondis-je. Vous ne pouvez imaginer les complications et les difficultés que la fortune crée dans ce monde. Il n’y a pas d’esclave mieux enchaîné que l’homme qui a, comme on dit, pignon sur rue et un capital chez son banquier. Le vrai roi de la création est l’homme qui porte tout ce qu’il possède sous son chapeau.

« Après avoir ainsi moralisé, je me mis en devoir de demander à Mlle Halliday si elle était prête à supporter une situation plus humble que celle dont elle jouissait à La Pelouse.

« — Vous n’aurez pas de confortable landau, lui dis-je, pas de groom prêt à courir la ville et la campagne sur un signe de sa maîtresse, pas de femme de chambre coiffée et en grande tenue dès onze heures du matin ; mais, au lieu de tout cela, une pauvre petite boîte en forme de maison, avec six pièces, une bonne à tout faire, dont la figure sera toujours barbouillée de charbon, de suie, de graisse. Pensez à cela, Charlotte, et demandez-vous si vous pourrez le supporter.

« Ma Charlotte se mit à rire, comme si cette perspective eût été le plus délicieux tableau que l’on pût offrir à l’humanité.

« — Croyez-vous que je me soucie de tout cela ! s’écria-t-elle. Si ce n’était à cause de maman, je détesterais