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LES OISEAUX DE PROIE

du temps, de l’espace, de rien. Je ne voyais, ne comprenais que ceci : j’étais avec Charlotte ; et je n’aurais pas échangé ma position contre celle de Lord Chancelier d’Angleterre.

« Sur ces entrefaites arriva l’oncle Joé avec une figure rubiconde, rayonnant sous un grand chapeau de feutre. Il venait dire à Charlotte que le dîner était prêt. Je lui fus immédiatement présenté.

« — M. Mercer, mon cher oncle Joseph… M. Haukehurst, un ami de mon beau-père… dit Charlotte.

« Deux ou trois minutes après nous suivions tous les trois ensemble l’allée de l’espèce de parc conduisant à la ferme ; l’idée que j’aurais pu m’en aller avant dîner eût paru tout à fait déplacée à mon hôte. Abstraction faite de la partialité dont mes yeux ne peuvent se défendre en faveur de la maison habitée par Charlotte, je ne crains pas d’affirmer que la ferme de Newhall est la plus charmante des vieilles maisons. Les chambres sont hautes, ont de profondes embrasures, de larges fenêtres ; les cheminées aussi n’en finissent pas ; les foyers sont énormes ; un monde de pièces perdues, de dégagements faciles, cinq ou six escaliers ; de grands meubles, avec de l’air, de l’espace, de la clarté. Tout cela est grand, propre, et rappelle le vieux temps.

« Dans un coin, un rouet, si vieux que son fuseau pourrait être contemporain de celui de la Belle au Bois Dormant ; dans un autre, un fauteuil du temps de la Reine Anne ; de vieilles indiennes à fleurs garnissent les fenêtres et les lits, les sofas sont bas, lourds ; les secrétaires mignons, fouillés ; les bureaux, sveltes et raides, étincellent sous les cuivres qui simulent des feuilles. Une odeur de lavande, de rose, flotte, sèche et douce, partout.